10e ANNIVERSAIRE DE WILPF CAMEROON

Entretien avec Sylvie Jacqueline Ndongmo, Fondatrice de WILPF Cameroon

« Mon engagement et ma détermination à œuvrer dans la société civile et pour l’émancipation de la femme ont été motivés par quelques faits majeurs… »

D’où vous est venue l’idée de créer WILPF ?

         J’ai découvert WILPF et son travail il y a douze ans au Forum International de l’AWID, qui se tenait à Istanbul, en Turquie. À cette occasion, j’ai visité les stands de l’organisation et participé à des ateliers qu’elle proposait. D’une part j’ai fait une fois de plus le constat amer de l’impact des conflits sur les femmes et les filles à travers des partages d’expériences pendant les ateliers et d’autre part ai été très impressionnée par le travail que menait WILPF aux quatre coins du monde pour promouvoir la paix.

    J’ai été particulièrement intriguée par les recherches de pointe réalisées par l’organisation et les données fournies dans de nombreux domaines : les actions et les besoins en matière de prévention de conflit et de consolidation de la paix, le militarisme, les opérations de maintien de la paix et les dépenses militaires des différents pays. Ces dernières étaient le plus souvent disproportionnées par rapport aux efforts fournis pour promouvoir les droits humains et notamment les droits des femmes.

    J’ai alors pu établir un lien évident entre les droits des femmes et la prolifération des armes, et j’ai été choquée de constater que des pays étaient capables de voter des budgets colossaux pour l’achat d’armes au détriment d’autres secteurs sociaux fondamentaux tels que l’éducation, la santé et l’égalité des genres, qui sont essentiels pour promouvoir la cause des femmes.

    Connaissant la situation de mon pays, le Cameroun, qui était déjà touché par des conflits avec les pays voisins, j’ai ressenti l’obligation morale de veiller à ce que les femmes camerounaises s’investissent davantage dans cette quête mondiale pour la justice sociale. C’est ainsi que WILPF Cameroun a vu le jour en janvier 2014.

 

Qu’est-ce qui justifie votre engagement à militer pour l’émancipation de la femme camerounaise ?

 

    Mon engagement et ma détermination à œuvrer dans la société civile et plus particulièrement pour l’émancipation de la femme ont été motivés par quelques faits majeurs qui ont très tôt marqué ma vie professionnelle et ma vie en tant que femme. Il s’agit d’un certain nombre de constats qui m’ont fait toucher du doigt à travers des expériences personnelles, des problèmes sociaux tels la mortalité maternelle et infantile, la précarité du système sanitaire, les mauvaises conditions de travail pour les enseignants et d’apprentissage pour les apprenants, la négligence dans les formations hospitalières, l’absence de sécurité sociale, etc.

    En 1994, internée dans un hôpital de la capitale du fait d’un malaise, j’ai dû malgré mon état de santé porter secours à ma voisine de lit, qui saignant abondamment et sans assistance a finalement rendu l’âme aux premières heures, pendant la ronde du personnel médical, ayant écouté comme dernières paroles des réprimandes du personnel médical qui lui reprochait de ne pas leur faciliter la tâche lors du prélèvement sanguin qu’ils tentaient d’effectuer.

   Suite à cet incident, j’ai à mon tour perdu mon bébé et unique fille en 1994 (née par césarienne) suite à de grosses négligences et erreurs médicales dans le même hôpital, erreurs ayant entraîné de nombreux autres problèmes de santé occasionnant consécutivement 3 autres interventions chirurgicales. En somme dans mon jeune âge, j’ai subi au total 07 opérations avec anesthésie générale, dont les séquelles demeurent perceptibles à ce jour. Le troisième fait majeur a été que jeune enseignante, mon salaire ne m’avait pas permis de prendre en charge mes soins médicaux au-delà de 48 heures, salaire qui en 1994 était de 66 000FCA pour une fonctionnaire de catégorie A2. 

    Très révoltée par ces trois évènements, j’ai décidé de m’engager dans la société civile en me promettant de consacrer ma vie à me battre afin qu’aucune autre femme ne vive ce que j’ai eu comme traumatisme.

    En outre, l’expérience des émeutes de la faim de 2008 au Cameroun avec sa cohorte de destructions et de dégâts et son impact sur la femme camerounaise, ainsi que ma participation à la formation 2008 au Burundi, m’ont permis de mesurer l’impact disproportionné des conflits sur les femmes et les filles. C’est fort de ce constat que j’ai décidé de mobiliser des femmes camerounaises partageant la vision d’un Cameroun sans violence afin que nous puissions créer l’association Women’s Peace Initiatives (2009).

Quels sont les sacrifices consentis ?

  • De nombreux obstacles institutionnels, personnels
  • La famille paye le prix fort de notre engagement du fait des absences répétées pour des activités, des sacrifices supplémentaires consentis pour nous suppléer (éducation des enfants, tâches ménagères).
  • Les membres des familles et amis développent une peur du fait des menaces subies.
  • Investissement dans la sécurité et le bien être pour un minimum de protection et pour le bien être
  • Beaucoup d’investissement physique, intellectuel et financier
  • De nombreuses nuits d’insomnie pour pouvoir élaborer des projets ou respecter les délais de soumission des projets
  • Prise de nombreux risques
  • Des multiples attaques parmi lesquelles, les cambriolages répétés, les menaces, les agressions physiques nous fait perdre non seulement des données importantes, mais également du matériel personnel et de travail, et créer en nous une situation de stress et peur avec comme corollaire des problèmes de santé
  • L’obligation malgré le sabotage, la diffamation et persécution de garder son calme et la retenue afin de refléter les valeurs de non-violence prônées et enseigner par son attitude.
  • Nous avons été généralement victimes des attaques ciblées qui se manifestent par le cambriolage de nos bureaux et domiciles, les menaces par appel téléphonique. Au cours de ces différents cambriolages, ce sont toujours nous outils de travail tels que les laptops, les clés USB qui sont emportés et rien d’autre.
  • Il a toujours été impossible de dissocier l’activisme de mon champ privé. À la maison par exemple, mon espace a été utilisé comme bureau de l’association pendant de nombreuses années ; du matériel et des fonds propres ont aidé à faire fonctionner l’association, à l’époque à Bafoussam, mon véhicule était appelé « voiture du syndicat

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Une femme accomplie ?

 

Je suis une initiatrice comblée !!!!

    Parce qu’ayant pu contre vents et marées contribuer à faire avancer les droits humains et l’émancipation de la femme par des actions concrètes au fil des ans.

     Je suis fière d’avoir tenu la main à des milliers de femmes et jeunes et d’avoir représenté le Cameroun à des niveaux élevés de prise de décision. C’est avec beaucoup de joie que je représente aujourd’hui le Cameroun au niveau mondial en tant que Présidente de WILPF.

J’ai mené des actions de plaidoyer en Afrique et dans le monde pour une plus grande inclusion des femmes dans les processus de paix, les instances de prise de décision et dans la vie publique en général.

Au moment où WILPF Cameroon fête son 10è anniversaire, je suis particulièrement fière de quelques réalisations phares notamment :

Le plaidoyer que mon équipe et moi avons conduit, avec l’appui d’autres OSC, de telle sorte que l’agenda des femmes, de la paix et de la sécurité soit reconnu par le gouvernement camerounais. Je suis particulièrement ravi d’avoir joué un rôle clé en facilitant les travaux préparatoires pour que ONU Femmes travaille avec le gouvernement camerounais pour développer un plan d’action national sur la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU).

Je peux également citer :

  • Notre contribution à la mise en place de structures de prévention des conflits par le biais de la mobilisation et de la formation, des observateurs des violences électorales et de la gestion du centre d’appel (doté d’un numéro vert 8243) de la Salle de Veille et d’Alerte des Femmes pour prévenir la violence lors des élections que le Cameroun a organisées en octobre 2018, février 2020 et décembre 2020 ;
  • Notre contribution au processus de paix au Cameroun par le biais d’une analyse de la dimension genre dans les conflits, un processus de recherche ascendant, complet et féministe, qui consiste à établir des faits et à mener des enquêtes afin de fournir, non seulement un diagnostic des problèmes, mais aussi une analyse de ce qui peut être fait pour apporter des changements, pour soutenir, ou même aider à créer, un processus de paix qui puisse être inclusif et durable ;
  • La création d’un certain nombre de plateformes avec des femmes engagées dans la consolidation de la paix, telle que la Plateforme des femmes camerounaises pour le dialogue national, afin de s’assurer que les voix des femmes soient prises en compte dans le processus de dialogue national (par le biais du Mémorandum « Voix des femmes pour le dialogue national ») ;
  • La mise en place d’une clinique d’assistance juridique et judiciaire pour apporter des réponses rapides aux violations des droits des femmes et des jeunes défavorisés, y compris la violence basée sur le genre. La clinique prévient et traite les violations des droits de l’homme de manière opportune, en fournissant des informations juridiques et/ou d’autres aides utiles aux survivants de violences physiques, psychologiques, économiques, etc. ;
  • La conduite de la formation à l’autonomisation économique et sociale de 600 femmes déplacées internes et filles mères des communautés d’accueil du département de la Menoua pour réduire leur vulnérabilité et comme outil de promotion de la cohésion sociale et de construction d’une paix durable ;
  • Après le siège de Douala, l’ouverture de nouveaux bureaux à Yaoundé (région du Centre), Bertoua (région de l’Est) et Dschang dans la région de l’Ouest, ouvertures qui s’inscrivent dans le cadre du renforcement de la présence de l’organisation sur le territoire national, dans le but d’amplifier la voix des femmes au niveau local.

   Je ne saurais oublier l’engagement des jeunes dans notre travail et leur formation à la communication non violente et l’utilisation des médias sociaux pour promouvoir la paix et combattre les discours de haine, ainsi qu’au leadership et, plus largement, au programme de l’ONU pour la jeunesse (Résolution 2250 du CSNU).

    Aujourd’hui, l’une des choses dont je suis tellement fière est que nous disposons d’un groupe d’influenceurs Web pour la paix au Cameroun et nous travaillons à en créer un au niveau continental…

 

Qui sont vos modèles de lutte pour la libération de la femme en Afrique ou dans le monde ?

Kah Wallah Edith : Au Cameroun, elle est une dame que j’admire pour ses convictions et sa détermination à mener un combat. Elle est constante et consistance ce qui fait défaut à de nombreuses activistes et militantes. Elle ne se laisse pas influencer par les dénigrements, les insultes de toutes parts visant à l’affaiblir et la détourner de ses objectifs. Elle a pu intégrer que tous les coups font partie de la lutte et qu’il ne faut aucunement tronquer ses valeurs contre quelques avantages que ce soit.

Winnie Mandela: Sans rentrer dans certaines considérations, j’ai été profondément marquée par son courage et sa détermination dans la lutte contre l’apartheid, en particulier durant les années d’incarcération de son mari. Pour moi, c’est un symbole de courage et de détermination.

Edith Ballantyne: Investie dans la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) à partir de 1969, elle en devient la secrétaire générale puis la présidente entre 1992 et 1998. En 1995, elle reçoit le prix Gandhi pour la paix.

C’est pour moi un modèle de travail acharné pour qui l’âge n’est pas une limite (elle est âgée de 102 ans). Quand nous lui avons rendu visite à l’occasion de son centenaire, elle nous a confié être stressée et vraiment mal du fait de son ordinateur en panne qui l’empêchait de suivre les actions de WILPF et l’actualité dans le monde.

Réactions

Linda Mbiapa, Journaliste et Directrice de publication du journal La Sirène Infos.

« WILPF Cameroon a nettement contribué à améliorer les Droits des femmes au Cameroun »

    Nous retenons de cette Organisation entre autres : l’Étude sur la Dimension genre dans les conflits aux Cameroun, menée par WILPF Cameroon et la Plateforme Femmes Camerounaises pour des Élections Pacifiques et l’Éducation à la Paix. Dans le rapport y relatif publié en mars 2021, ce qui nous a marqué ce sont les recommandations en direction du Gouvernement, du Parlement et du pouvoir judiciaire. En effet, il leur a été demandé de prendre des mesures pour mettre fin à l’impunité pendant et après les conflits armés et tenir tout individu et toute institution, en particulier les acteurs de la sécurité, pour responsables des pratiques néfastes, notamment la violence basée sur le genre. Aussi, pour Wilpf Cameroun, il est surtout question à l’endroit de ces derniers de : désigner une agence gouvernementale spécifiquement chargée de la violence basée sur le genre, chargée d’élaborer des systèmes de surveillance des abus et des violations liées à la violence basée sur le genre en consultation avec les OSC et les autres organismes concernés et en tenant compte des rapports des OSC et des communautés locales exposées aux risques ; Évaluer systématiquement l’efficacité de la législation nationale relative à la prévention et à la réponse à la violence basée sur le genre et mettre en place des mécanismes de réponse à la violence basée sur le genre et aux droits humains .  Adopter et mettre en œuvre une loi spécifique qui assure la prévention et la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, notamment le viol conjugal, suivie de programmes d’éducation et de sensibilisation du public sur la violence domestique ;  Organiser une campagne nationale inclusive de sensibilisation et de renforcement des capacités sur la violence basée sur le genre dans les différentes communautés en interrogeant les effets de l’inégalité des sexes, des pratiques discriminatoires et de la violence basée sur le genre pendant et après les conflits armés, avec la participation des groupes à risque, du gouvernement, des OSC et des organisations internationales dans sa conception et sa mise en œuvre. Assurer le renforcement des capacités des avocats et des juges de l’État afin de fournir aux premiers une représentation et des conseils juridiques adéquats et nécessaires, et de poursuivre les responsables des crimes perpétrés contre les survivants de la violence basée sur le genre pour les seconds. Sans oublier le renforcement du développement des capacités des autorités communautaires locales (par exemple les conseils, les chefs religieux) sous la direction du MINAS et du MINPROFF en matière de lutte contre la violence basée sur le genre afin de garantir la mise en œuvre de programmes et de services intégrés pour les communautés de base.

          Ce sont des points essentiels que le Cameroun gagnerait à s’y conformer pour le bien être des Femmes et les libertés.

« WILPF Cameroon a fait plus que de nombreuses autres associations de défense des droits de la femme et de l’égalité des genres »

   WILPF Cameroon a beaucoup contribué à la prise de conscience de l’autonomisation de la jeune fille et de la femme en organisant des rencontres, des conférences, des débats et des séminaires sur le sujet aussi bien à Douala que dans d’autres villes du Cameroun, des événements largement relayés par les médias du pays, car chacun d’eux était régulièrement associé ou convié des femmes et hommes des médias. En outre, WILPF Cameroon a pris part à de nombreuses rencontres nationales et internationales au cours de ces dix dernières années avec des sujets à l’ordre du jour et a même initié des enquêtes qui ont permis d’avoir une idée claire sur la politique de l’égalité des genres au Cameroun.

    À mon humble avis, sur ce sujet, WILPF Cameroon a fait plus que de nombreuses autres associations de défense des droits de la femme et de l’égalité des genres et mérite d’être considérée comme leader dans ce domaine.